art action anamnèse esthétique, histoire et théorie de l'art contemporain @

revelint - revue électronique internationale - Paris 2002 - 2010


retour table

 

Jozef BURY "Contexte d’apparition des pratiques artistiques de type performance en Pologne - Entretiens avec Zbigniew Dlubak, Wlodzimierz Borowski, Jerzy Beres et Jozef Robakowski", Æsthetica-Nova (n°6), Paris, 1996, pp. 40-70 (extraits).

1. Introduction à la problématique de la performance

     Approche de la pratique de type performance en Pologne

2. Entretien avec Zbigniew DLUBAK, Meudon, Octobre 1995

3. Entretien avec Jerzy BERES, Cracovie, Décembre 1995

4. Entretien avec Wlodzimierz BOROWSKI, Brwinow, Novembre 1995, Janvier 1996

5. Entretien avec Jozef ROBAKOWSKI, Lodz, Varsovie, Novembre 1995, Mars 1996

6. Conclusion.

 

4. Entretien avec Wlodzimierz BOROWSKI, Brwinow, Novembre 1995, Janvier 1996

Jozef Bury - Considéré par de rares spécialistes comme précurseur dans le domaine du happening, de la performance et de l’avant-garde en Pologne, ton travail est mal connu du public polonais. Comment expliques-tu ce phénomène?

Wlodzimierz Borowski - J’ai eu moi-même beaucoup de mal à accepter le statut d’artiste. Ce fut d’ailleurs souvent un sujet de malentendu avec les autres artistes. Ce statut est, en effet, en un certain sens, compromettant, et ceci est dû à un paradoxe : en faisant des choses et en ayant un comportement "anormal" on ne peut pas compter sur une acceptation facile de la part de la société, avec laquelle on demeure finalement en conflit, par le fait même d’exiger, par ses actions, une présence éveillée, et en détruisant son bien-être en ses acquis. Et pourtant, cette attitude pourra être considérée comme avant-gardiste. Paradoxalement, avoir un statut d’artiste reconnu, suppose l’acceptation de ses agissements vus désormais comme "normaux" ce qui les privent de leur force avant-gardiste.

- Quelle est donc la solution?

W.B. - Y-en-a-t-il une... et est-elle nécessaire? Ce paradoxe peut être fécond. Mais il est évidement plus difficile de vivre avec lui que de trancher.

- Est-ce en vue d’échapper aux assimilations de tes propositions comme "normales" que tu as changé aussi souvent de style, ce qui t’as valu une réputation d’artiste "auto-destructeur"?

W.B. - Je pense que tous ces changements peuvent s’expliquer logiquement et qu’il ne pouvait pas en être autrement. Il est vrai également que je n’ai jamais voulu resté sur ce qui me permettait de me croire déjà artiste.

- Tes premiers travaux, évoqués aujourd’hui comme précurseurs, sont le fruit de l’expérience du groupe" Zamek" (26), dont tu as fait partie après tes études en histoire de l’art à l’Université Catholique de Lublin. Comment es-tu devenu artiste en étudiant l’histoire de l’art?

W.B. - Je suis sorti de la maison avec une éducation musicale. J’ai été engagé dans cette voie au point de préparer le concours Chopin. Je jouais du violon et du piano jusqu’à 16 heures par jour... J’ai grandi dans cette atmosphère. Ma grand-mère et ma mère jouaient et moi même je voulais composer. Mais mon savoir musical n’était pas suffisant. J’ai surtout étudié Ravel, Debussy, Chopin et un peu l’impressionnisme musical ; j’ai commencé à connaître Stockhausen, mais en général, la musique plus moderne était difficilement accessible à l’époque en Pologne, car considérée, bien évidement comme le produit du capitalisme. La composition me paraissait par contre accessible au plan visuel. Les travaux de Malevitch et Kandinsky m’étaient très proches. Peut-être au travers de mes expériences musicales, avais-je plus de facilité à accéder à l’abstraction. Pour moi il s’agissait d’une voie possible de continuation de la musique.

"Arton I", 1961*

 

- En 1952 tu choisis les études en histoire de l’art.

W.B. - J’étais attiré par les sciences de la vie, par toutes les tentatives et expérimentations en vie artificielle, la robotique et le début de l’ordinateur. J’essayais moi-même de faire, réalisant ainsi mon rêve démiurgique, des formes-créatures vouées à une vie autonome. Dotées de systèmes électro-magnétiques complexes, mes créatures avaient une capacité de réaction aux mouvements de l’air, par changement de formes et émission de lumière. Je les nommais "Artony". J’ai suivi tous les progrès de la science, mais l’envisager comme étude sérieuse me paraissait trop difficile. J’ai donc choisi les sciences humaines. Je n’attachais pas une grande importance à mes études en histoire de l’art, mais le fait d’avoir à disposition un atelier de peinture - une sorte de possibilité pour un historien de l’art de toucher à "l’objet de sa recherche" - à jouer un rôle considérable dans mon orientation.

- Un atelier mis à disposition des étudiants par l’Université pour pratiquer la peinture?

W.B. - Tout-à-fait. Et, très vite, un groupe d’étudiants dont je faisais partie, s’est démarqué par le fait de porter plus d’intérêt à la pratique de l’art.

- C’est le début de la constitution du groupe "Zamek"?

W.B. - Au début il s’agissait d’un cercle d’amis de "jeunes artistes de Lublin", animé par la passion, et en vivant : débats, conflits, nuits blanches dans l’atelier...

Par la suite, sous l’initiative de Jerzy Ludwinski, est né le groupe "Zamek". Le nom venait du Château de Lublin, où, la Maison de Culture, qui nous accueillait, avait son siège. Le groupe avait à ses débuts un objectif stratégique : obtenir un lieu, être pris en considération par les institutions. Peu à peu, au travers des débats et différentes actions menées en commun, nous avons acquis une conscience de groupe artistique et nous avons été invité à exposer à Varsovie et à Paris.

- De cette époque datent tes premières réalisations plastiques, inspirées de l’abstraction, mais aussi du surréalisme et du dadaïsme, peintures et fameux "Artony".

W.B. - A part l’abstraction qui était déjà pour moi facilement accessible, le surréalisme a joué un rôle très important, non seulement pour moi, mais aussi pour les artistes polonais en général. Après la guerre il a permis de mieux comprendre l’abstraction, il fut en effet compris comme une liaison possible entre le réalisme et l’abstraction. Cependant il faut noter qu’à l’époque nous ne possédions que très peu d’informations le concernant. Au début j’ai synthétisé une sorte de conscience de l’abstraction pure : la musique avec une expérience plastique, en voulant y laisser des traces à la manière des notations musicales. Je voulais faire dans l’art visuel la même chose que dans la musique, autrement dit, "écrire" l’expérience visuelle : inventer une forme d’enregistrement de cette expérience.

- Les objets qui apparaissent sont donc des traces-partitions ?

W.B. - ... lesquelles servent à révéler autre chose. Cette révélation dans la musique se fait uniquement par le surgissement vivant de la musique elle-même. Dans la peinture c’est tout-à-fait semblable. L’objet-tableau par exemple, existe mais au moment de sa réception fait surgir bien d’autres choses, il ouvre l’espace, fait un trou par lequel on accède à un ailleurs.

- Ailleurs veut dire "dans l’art"?

W.B. - Par le fait même que l’art existe, en tant que champ autonome, il se joue en dehors de nous... La musique elle, est. Les sons existent déjà en dehors de toute reformulation humaine. Écrire la musique consiste à ordonner ces sons. Comment écrire le vent, si l’on exclue la possibilité d’enregistrement sur une bande magnétique ? On peut dire : "le vent", on peut le définir : c’est l’air en déplacement, mais son bruit ? Il faut trouver une notation et avant tout, être une antenne sensible, capable de saisir son essence. Je vois l’art comme une sphère, énorme, qui tourne, et dont nous n’apercevons que des bribes. Nous notons cette partie, et cette notation est toujours différente mais concerne la même sphère. Mais pourquoi l’homme fait-il attention à cette sphère, tandis qu’il y a tant d’autres choses ? Certainement, notre sensibilité à besoin de cette sphère.

- Si cette sphère pré-existe et se dévoile en partie, toujours différente, l’oeuvre d’art peut-être considérée au même titre qu’une découverte scientifique.

W.B. - L’art présente une similitude avec la science : on découvre toujours un autre aspect de cette sphère, qui pour être décrit nécessite l’invention, l’élaboration d’un langage nouveau. C’est la tâche de l’avant-garde.

- Penses-tu que l’avant-garde polonaise d’avant-guerre ait réalisé ce programme?

W.B. - Lorsque j’ai eu connaissance de la théorie de l’unisme de Strzeminski, j’ai été impressionné. Mais j’ai compris l’unisme comme une théorie qui dépasse largement la peinture et j’ai été très déçu en voyant les tableaux, dans lesquels il a tenté d’appliquer cette théorie. J’étais même choqué que sa proposition plastique ne dépasse pas le problème de la composition, que son expérience s’arrête là. Il a finalement composé des tableaux très traditionnels. Strzeminski portait encore en lui l’idée que l’artiste pouvait servir la société. Une idée peu convaincante pour ma génération. La situation politique nous a peut-être obligé à nous identifier à des groupes élitistes pour pouvoir nous y opposer plus efficacement. Mais nous considérions également que l’art exigeait un contact plus intime, plus personnel, car il s’agissait d’un vécu difficilement accessible et communicable, et, contrairement à l’avant-garde précédente, nous n’avons pas envisagé de rendre la société heureuse malgré elle.

- Et en ce qui concerne Witkacy?

W.B. - Witkacy, avec son ironie et sa distance vis-à-vis de son travail, dépassait déjà les frontières et les conventions. Son expérience était dirigée vers les limites du supportable, tout en restant drôle. J’ai connu Witkacy à travers ses écrits littéraires et ses travaux théoriques sur le théâtre, plus qu’à travers son travail plastique. C’est le Witkacy dans son ensemble que je trouve extrêmement intéressant, dans ses excès, dans son éclatement des frontières et son "inassouvissement".

- Y-avait-il d’autres filiations?

W.B. - Je me souviens d’une visite au Musée de Lodz où j’ai découvert la peinture et le graphisme de Karol Hiller (27), ce fut pour moi un moment intense. J’éprouvais devant ses oeuvres une expérience d’ouverture de l’espace, le tableau devenait une brèche vers un autre monde. Depuis, cette sensation révèle pour moi la qualité de l’oeuvre.

- Pourrais-tu en citer d’autres?

W.B. - "Le retour du Fils Prodigue" de Rembrandt, où je ne vois ni sujet, ni objet-tableau, ni même problème de la peinture mais une autre dimension. L’intérieur de la Cathédrale de Chartres m’a fait la même surprise. Je ne sais pas s’il s’agit encore de l’art, où si l’art possède une telle violence, de cette violence qui déchire l’espace et me propulse dans une dimension autrement inaccessible. Il m’arrive d’avoir le même sentiment après avoir lu un livre. Je me rend compte parfois que je n’en ai gardé aucun souvenir au niveau du contenu littéraire, mais le même phénomène s’est produit.

- Le texte possède-t-il la même force que l’image?

W.B. - C’est comme cela que j’ai essayer de concevoir le conceptualisme : un mot qui déchire l’espace. Le conceptualisme était une tentation dramatique et risquée, et il est resté très ambigu sur ce sujet. Je crois qu’un mot peut créer cette chance pour l’ouverture de l’espace, quelque chose de plus qu’un jeu formel, quelque chose d’ordre émotionnel, très fort et violent. Après la lecture de "Ulysse" de Joyce, j’ai eu cette conviction. Il me très difficile de raconter le jeu formel ou le contenu de l’"Ulysse" - on dirait des mots déchiquetés - et pourtant j’ai eu le sentiment de traverser le miroir, d’être dans une réalité imperceptible habituellement.

"Manifest lustrzany" (Manifeste de miroir). 1e Démonstration syncrétique, BWA Lublin, 1966*

 

- Quel est le rôle du miroir dans ta réflexion sur l’espace?

W.B. - Le miroir, sans déranger l’ordre de l’espace, joue avec celui-ci et le multiplie. En ce sens, il crée une illusion concrète, ajoutant une partie de l’énigme toujours fascinante qui lui est liée, et il devient un élément très riche à exploiter.

- Et la forme dans l’espace?

W.B. - Tu sais qu’en Pologne les rencontres et séminaires organisés à ce sujet étaient très à la mode. J’ai moi-même réfléchi à cette problématique. Toute forme se défend contre l’espace et inversement. C’est une lutte, une lutte qui mène la goutte d’eau visible dans les tensions de sa surface, une lutte qui mène notre forme, le corps humain : une blessure peut provoquer la mort et ce n’est rien d’autre que l’entrée de l’espace dans le corps humain. Remarque quel contrôle exige l’ouverture de notre corps même dans un acte médical, et quel conflit peut résulter du fait de toucher à cette frontière des formes. Il y a à mon avis trop de formes-sculptures qui introduites irresponsablement hantent cet espace. Un tableau qui bouche l’ouverture potentielle - car il est "déjà-là", mais n’agit pas dans le sens d’une ouverture - est déjà embarrassant. Mais une forme-sculpture médiocre paraîtra encore plus lourde.

- Agir dans le sens inverse serait créer un vide.

W.B. - C’est une solution bien plus heureuse et bien plus difficile. Le vide est une situation exceptionnelle, une sorte d’état de sous-tension, lequel peut aspirer…

- Créer un vide veut dire créer de la place pour l’art.

W.B. - En quelque sorte, oui. C’est une grave responsabilité d’introduire une forme dans l’espace. Beaucoup de mes réalisations ont disparu à cause des matériaux périssables utilisés pour leur construction, et j’en ai ressenti un soulagement. A l’époque où j’enseignais le dessin, j’avertissais toujours mes élèves de la responsabilité et du danger de faire un trait superflu. Chaque élément de l’art vit, de sa vie indépendante et l’effacer est similaire à la disparition de quelque chose de vivant. Une économie de gestes et de formes est donc indispensable.

"Niciowiec okienny" (Filaroïdé de fenêtre). De 7e Démonstration syncrétique, Osieki, 1967*

 

- J’en déduit que tu considère les propositions du minimal art comme positives.

W.B. - Celles du minimal art, mais aussi de la performance dans laquelle il n’y a plus d’objets encombrants mais des gestes bien pesés, bien réfléchis, pouvant mener à l’art.

- Quel rôle assignes tu au spectateur de tes performances?

W.B. - Le public n’est pas un spectateur ni un participant dans la performance. Il constitue un élément parfois nécessaire et parfois complètement étranger à l’action. Déjà dans ma deuxième "Démonstration syncrétique" (28), par la lumière aveuglante et à travers les inscriptions "silence", j’ai traité le public de façon très autoritaire. Je voulais pousser jusqu’au bout les limites du supportable, réduire le public à un objet, tout en profitant de mon statut d’artiste. Ce n’était pas une provocation, ni une invitation à la participation, mais plutôt une tentative de création de vide. Les éléments artistiques et le contact avec l’artiste étaient eux aussi réduits. Le public était ainsi privé de toute possibilité de voir, de comprendre, de participer, contrairement à ce que demandait le happening. Cette action voulait plutôt démontrer la lâcheté et l’inertie du public. Le public et la société délèguent en effet un pouvoir aux artistes tout en acceptant de subir leurs maltraitements et le champ réduit de participation désigné par ceux-ci. La société considère le fait de posséder les artistes comme un luxe et elle aime être maltraitée par eux, elle est prête à tout subir, elle va même jusqu’à y trouver un plaisir masochiste. Le public du happening aime finalement être surpris. L’artiste peut renverser de la peinture sur la tête du spectateur, et celui-ci se sent privilégié, choisi, tout en ayant le sentiment d’être un peu artiste en participant dans ce cadre qui lui est désigné. Très vite, les spectateurs ont compris les règles du happening, et savent très bien y participer.

- L'appellation performance n’existant pas encore, tes actions étaient qualifiées de "anti-happening". Quel était ton but, à part l’opposition évidente au happening?

W.B. - Mes actions allaient à l’encontre de cette sécurisante participation et mettait le spectateur non en face de l’art mais en face de lui-même. Il pouvait voir le ridicule de cette participation et ressentir finalement sa manipulation. C’est cette prise de conscience qui donne à mon travail son importance. Le spectateur réduit au silence, attaqué par la lumière aveuglante, empêché de voir de l’art et d’y participer depuis sa position, en toute sécurité, était ainsi appelé à réfléchir par lui-même sur son rôle. En ce sens ces performances étaient déjà hostiles au public. J’ai poursuivi cette voie dans l’exposition "Antyhappening-Fubki Tarb" (29) où je n’étais pas présent au vernissage. Le public était invité à contempler ses propres images photographiques. En ce sens le public n’était ni spectateur actif, ni spectateur passif mais faisait partie de l’installation d’un ensemble constitué de lui-même et de ses photographies.

- Quels sont pour toi les aspects les plus importants de la performance?

W.B. - Son caractère expérimental, une sorte de laboratoire permanent où les expériences sont plus ou moins réussies et où les résultats diffèrent, mais où l’aspect de l’expérience est maintenu. C’est pour cela que cette forme d’art a toutes les chances de durer. Elle permet de prendre conscience que l’objet-oeuvre n’est pas le but en soi. Elle permet de raccourcir la distance, de lever le rideau et d'accéder à un vécu.

                            

"Uczulanie na kolor"(Sensibilisation à la couleur). 8e Démonstration syncrétique, Galerie odNOWA, Poznan, 1968*
"Pole gry" (Espace de jeu). Exposition (detail), Galeria Wspólczesna, Warszawa, 1972*

 

- Parmi tes propositions, on dénombre un type spécifique d’exposition, qualifié la plupart du temps "d’installation". Quelle est la particularité de ce type d’exposition, et en quoi consiste l’originalité de cette forme?

W.B. - Les problèmes posés actuellement dans l’installation, à savoir : la prise en compte du lieu d’exposition, de son aspect physique et visuel, méritent une attention particulière, mais l’intérêt pour l’oeuvre in-situ en général ne date pas d’aujourd’hui.

- En effet la perspective dans la peinture murale de la Renaissance ou les effets d’anamorphoses prenaient en considération non seulement les aspects de la coupole ou abaque mais également la position et la taille des spectateurs. Ce sont déjà des exemples d’oeuvres in-situ. Pourquoi alors attache-t-on aujourd’hui autant d’attention à cette problématique?

W.B. - De nouveaux contextes apparaissent et les mêmes problèmes se posent de manière différente. Mais il est vrai aussi que l’avant-garde précédente préoccupée par la recherche des spécificités de chaque discipline, a délaissé ces questionnements. Ils reviennent maintenant et cela ne peut-être qu’un aspect positif.

- Que penses-tu de l’idée de message et de communication en général, tellement ancrée dans la pensée sur l’art en Pologne?

W.B. - Mon rôle en tant qu’artiste, si j’admets que j’ai un rôle à jouer, serait plutôt de maintenir en éveil ma capacité à voir le monde. Mes actions peuvent aider les autres à en faire autant à condition qu’ils en manifestent le désir. La réflexion sur la communication à travers l’art ne me préoccupe pas. Je suis même hostile à ce que l’on nomme la popularisation de l’art. Aucune communication programmée n’est envisageable. C’est à autrui de ressentir ce besoin et de chercher les moyens de découvrir le monde qui l’intéresse. Tous ces musées avec des cafétérias, des cartes postales et des espaces pour les enfants ressemblent à des foires foraines où l’art paraît si accessible, si facile à comprendre... Ils ne sont pas autre chose qu’un barrage efficace vers l’art qui le prive de sa capacité d’agir... Je me souviens des remarques de Stazewski concernant la visite d’un musée : il disait qu’il fallait essayer de "passer inaperçu", car de toute façon l’oeuvre qui est censée toucher notre sensibilité va nous arrêter. C’est cette rencontre qui devient exceptionnelle.

5. Entretien avec Jozef ROBAKOWSKI, Lodz, Varsovie, Novembre 1995, Mars 1996.

6. Conclusion.

NOTES :

* Source des illustrations : Kozlowski J., (dir.), Wlodzimierz Borowski, Slady / Traces 1956 - 1995. Catalogue de l'exposition. Warszawa : Centrum Sztuki Wspólczesnej Zamek Ujazdowski, 1996. - Reproduction avec l'accord de l'artiste.

(26) Groupe artistique de Lublin, actif de 1956 à 1960, crée à l'initiative de Jerzy LUDWINSKI, théoricien de l'art, dont BOROWSKI fut l'un des co-créateur.

(27) Karol HILLER (1891, Lodz-1939, Lodz). Artiste peintre, d'orientation constructiviste et abstraite.

(28) Il s'agit de la " Deuxième démonstration syncrétique" à la Galerie Foksal de Varsovie en 1966 : "Il aménagea tout d’abord une série de conditions externes caractéristiques de tous les types de manifestations artistiques et d’expositions, tout en accentuant les divisions conventionnelles entre le public et la scène. Il y avait un espace déterminé pour le public en même temps qu’un espace de manifestation plastique distinctement délimité, en fait, de nature purement visuelle. Il pouvait sembler qu’il existait un point fixe d’observation pour le spectateur. Ceci s’avérait cependant être un piège. Dans le premier espace, aucune observation, quelqu’elle fût, n’était possible puisque le spectateur était systématiquement aveuglé. Cela prouvait ensuite pendant l’action que son espace n’était pas du tout un espace neutre. Le spectateur qui espérait au cours de la série rester à l’extérieur et ainsi conserver à la fois son statut et ses prérogatives se retrouvait soudainement et involontairement lui-même absorbé à l’intérieur. La seule personne a ne pas être aveuglée était l’artiste qui se trouvait derrière le projecteur, jouant du regard des spectateurs en les blessant directement dans leur volonté de voir. Il y avait là, comme une attitude de vengeance à l’égard du spectateur, d’agressivité, d’insolence ; il semblait vouloir dire : "Vous êtes venu voir quelque chose? Vous ne verrez rien ! Vous êtes venu, plein de suffisance, regarder, mais c’est moi qui vous regarde." Anka PTASZKOWSKA " Avant-garde polonaise à la Galerie Foksal, 1966-70", in Ragile, tome III, Sept. 1979, Paris.

(29) Action-événement réalisé à la Galerie Pod Mona Lisa à Wroclaw en 1969.

 

retour texte

retour table