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- Paris
Jozef BURY "Contexte d’apparition des pratiques artistiques de
type performance en Pologne - Entretiens avec Zbigniew Dlubak, Wlodzimierz
Borowski, Jerzy Beres et Jozef Robakowski", Æsthetica-Nova (n°6), Paris, 1996, pp.
40-70 (extraits).
1. Introduction à la
problématique de la performance
Approche de
la pratique de type performance en Pologne
2. Entretien avec Zbigniew DLUBAK, Meudon,
Octobre 1995
3. Entretien avec Jerzy BERES, Cracovie,
Décembre 1995
4. Entretien avec Wlodzimierz BOROWSKI, Brwinow,
Novembre 1995, Janvier 1996
5. Entretien avec Jozef
ROBAKOWSKI, Lodz, Varsovie, Novembre 1995, Mars 1996
6. Conclusion.
4. Entretien avec Wlodzimierz BOROWSKI, Brwinow,
Novembre 1995, Janvier 1996
Jozef Bury -
Considéré par de rares spécialistes comme précurseur dans le domaine du
happening, de la performance et de l’avant-garde en Pologne, ton travail est
mal connu du public polonais. Comment expliques-tu ce phénomène?
Wlodzimierz Borowski -
J’ai eu moi-même beaucoup de mal à accepter le statut d’artiste. Ce fut
d’ailleurs souvent un sujet de malentendu avec les autres artistes. Ce statut
est, en effet, en un certain sens, compromettant, et ceci est dû à un paradoxe
: en faisant des choses et en ayant un comportement "anormal" on ne
peut pas compter sur une acceptation facile de la part de la société, avec
laquelle on demeure finalement en conflit, par le fait même d’exiger, par ses
actions, une présence éveillée, et en détruisant son bien-être en ses acquis.
Et pourtant, cette attitude pourra être considérée comme avant-gardiste.
Paradoxalement, avoir un statut d’artiste reconnu, suppose l’acceptation de ses
agissements vus désormais comme "normaux" ce qui les privent de leur
force avant-gardiste.
- Quelle
est donc la solution?
W.B. - Y-en-a-t-il
une... et est-elle nécessaire? Ce paradoxe peut être
fécond. Mais il est évidement plus difficile de vivre avec lui que de trancher.
- Est-ce en
vue d’échapper aux assimilations de tes propositions comme "normales"
que tu as changé aussi souvent de style, ce qui t’as valu une réputation
d’artiste "auto-destructeur"?
W.B. - Je pense que
tous ces changements peuvent s’expliquer logiquement et qu’il ne pouvait pas en
être autrement. Il est vrai également que je n’ai jamais voulu resté sur ce qui me permettait de me croire déjà artiste.
- Tes
premiers travaux, évoqués aujourd’hui comme précurseurs, sont le fruit de
l’expérience du groupe" Zamek" (26), dont tu as fait partie après tes
études en histoire de l’art à l’Université Catholique de Lublin. Comment es-tu
devenu artiste en étudiant l’histoire de l’art?
W.B. - Je suis
sorti de la maison avec une éducation musicale. J’ai été engagé dans cette voie
au point de préparer le concours Chopin. Je jouais du violon et du piano
jusqu’à 16 heures par jour... J’ai grandi dans cette atmosphère. Ma grand-mère
et ma mère jouaient et moi même je voulais composer. Mais mon savoir musical
n’était pas suffisant. J’ai surtout étudié Ravel, Debussy, Chopin et un peu
l’impressionnisme musical ; j’ai commencé à connaître Stockhausen, mais en
général, la musique plus moderne était difficilement accessible à l’époque en
Pologne, car considérée, bien évidement comme le produit du capitalisme. La
composition me paraissait par contre accessible au plan visuel. Les travaux de
Malevitch et Kandinsky m’étaient très proches. Peut-être au travers de mes
expériences musicales, avais-je plus de facilité à accéder à l’abstraction.
Pour moi il s’agissait d’une voie possible de continuation de la musique.
"Arton
I", 1961*
- En 1952
tu choisis les études en histoire de l’art.
W.B. - J’étais
attiré par les sciences de la vie, par toutes les tentatives et
expérimentations en vie artificielle, la robotique et le début de l’ordinateur.
J’essayais moi-même de faire, réalisant ainsi mon rêve démiurgique, des
formes-créatures vouées à une vie autonome. Dotées de systèmes
électro-magnétiques complexes, mes créatures avaient une capacité de réaction
aux mouvements de l’air, par changement de formes et émission de lumière. Je
les nommais "Artony". J’ai suivi tous les progrès de la science, mais
l’envisager comme étude sérieuse me paraissait trop difficile. J’ai donc choisi
les sciences humaines. Je n’attachais pas une grande importance à mes études en
histoire de l’art, mais le fait d’avoir à disposition un atelier de peinture -
une sorte de possibilité pour un historien de l’art de toucher à "l’objet
de sa recherche" - à jouer un rôle considérable dans mon orientation.
- Un
atelier mis à disposition des étudiants par l’Université pour pratiquer la peinture?
W.B. - Tout-à-fait.
Et, très vite, un groupe d’étudiants dont je faisais partie, s’est démarqué par
le fait de porter plus d’intérêt à la pratique de l’art.
- C’est le
début de la constitution du groupe "Zamek"?
W.B. - Au début il
s’agissait d’un cercle d’amis de "jeunes artistes de Lublin", animé
par la passion, et en vivant : débats, conflits, nuits blanches dans
l’atelier...
Par la suite, sous l’initiative de Jerzy Ludwinski, est né
le groupe "Zamek". Le nom venait du Château de Lublin, où, la Maison
de Culture, qui nous accueillait, avait son siège. Le groupe avait à ses débuts
un objectif stratégique : obtenir un lieu, être pris en considération par les
institutions. Peu à peu, au travers des débats et différentes actions menées en
commun, nous avons acquis une conscience de groupe artistique et nous avons été
invité à exposer à Varsovie et à Paris.
- De cette
époque datent tes premières réalisations plastiques, inspirées de
l’abstraction, mais aussi du surréalisme et du dadaïsme, peintures et fameux
"Artony".
W.B. - A part
l’abstraction qui était déjà pour moi facilement accessible, le surréalisme a
joué un rôle très important, non seulement pour moi, mais aussi pour les
artistes polonais en général. Après la guerre il a permis de mieux comprendre
l’abstraction, il fut en effet compris comme une liaison possible entre le
réalisme et l’abstraction. Cependant il faut noter qu’à l’époque nous ne
possédions que très peu d’informations le concernant. Au début j’ai synthétisé
une sorte de conscience de l’abstraction pure : la musique avec une expérience
plastique, en voulant y laisser des traces à la manière des notations
musicales. Je voulais faire dans l’art visuel la même chose que dans la
musique, autrement dit, "écrire" l’expérience visuelle : inventer une
forme d’enregistrement de cette expérience.
- Les
objets qui apparaissent sont donc des traces-partitions ?
W.B. - ...
lesquelles servent à révéler autre chose. Cette révélation dans la musique se
fait uniquement par le surgissement vivant de la musique elle-même. Dans la
peinture c’est tout-à-fait semblable. L’objet-tableau par exemple, existe mais
au moment de sa réception fait surgir bien d’autres choses, il ouvre l’espace,
fait un trou par lequel on accède à un ailleurs.
- Ailleurs
veut dire "dans l’art"?
W.B. - Par le fait
même que l’art existe, en tant que champ autonome, il se joue en dehors de
nous... La musique elle, est. Les sons existent déjà en dehors de toute
reformulation humaine. Écrire la musique consiste à ordonner ces sons. Comment
écrire le vent, si l’on exclue la possibilité d’enregistrement sur une bande
magnétique ? On peut dire : "le vent", on peut le définir : c’est
l’air en déplacement, mais son bruit ? Il faut trouver une notation et avant
tout, être une antenne sensible, capable de saisir son essence. Je vois l’art
comme une sphère, énorme, qui tourne, et dont nous n’apercevons que des bribes.
Nous notons cette partie, et cette notation est toujours différente mais
concerne la même sphère. Mais pourquoi l’homme fait-il attention à cette
sphère, tandis qu’il y a tant d’autres choses ? Certainement, notre sensibilité
à besoin de cette sphère.
- Si cette
sphère pré-existe et se dévoile en partie, toujours différente, l’oeuvre d’art peut-être considérée au même titre qu’une découverte
scientifique.
W.B. - L’art
présente une similitude avec la science : on découvre toujours un autre aspect
de cette sphère, qui pour être décrit nécessite l’invention, l’élaboration d’un
langage nouveau. C’est la tâche de l’avant-garde.
- Penses-tu
que l’avant-garde polonaise d’avant-guerre ait réalisé ce programme?
W.B. - Lorsque j’ai
eu connaissance de la théorie de l’unisme de Strzeminski, j’ai été
impressionné. Mais j’ai compris l’unisme comme une théorie qui dépasse
largement la peinture et j’ai été très déçu en voyant les tableaux, dans
lesquels il a tenté d’appliquer cette théorie. J’étais même choqué que sa
proposition plastique ne dépasse pas le problème de la composition, que son
expérience s’arrête là. Il a finalement composé des tableaux très
traditionnels. Strzeminski portait encore en lui l’idée que l’artiste pouvait
servir la société. Une idée peu convaincante pour ma génération. La situation
politique nous a peut-être obligé à nous identifier à des groupes élitistes
pour pouvoir nous y opposer plus efficacement. Mais nous considérions également
que l’art exigeait un contact plus intime, plus personnel, car il s’agissait
d’un vécu difficilement accessible et communicable, et, contrairement à l’avant-garde
précédente, nous n’avons pas envisagé de rendre la société heureuse malgré
elle.
- Et en ce
qui concerne Witkacy?
W.B. - Witkacy,
avec son ironie et sa distance vis-à-vis de son travail, dépassait déjà les
frontières et les conventions. Son expérience était dirigée vers les limites du
supportable, tout en restant drôle. J’ai connu Witkacy à travers ses écrits
littéraires et ses travaux théoriques sur le théâtre, plus qu’à travers son
travail plastique. C’est le Witkacy dans son ensemble que je trouve extrêmement
intéressant, dans ses excès, dans son éclatement des frontières et son
"inassouvissement".
-
Y-avait-il d’autres filiations?
W.B. - Je me
souviens d’une visite au Musée de Lodz où j’ai découvert la peinture et le
graphisme de Karol Hiller (27), ce fut pour moi un moment intense. J’éprouvais
devant ses oeuvres une expérience d’ouverture de l’espace, le tableau devenait
une brèche vers un autre monde. Depuis, cette sensation révèle pour moi la
qualité de l’oeuvre.
-
Pourrais-tu en citer d’autres?
W.B. - "Le
retour du Fils Prodigue" de Rembrandt, où je ne vois ni sujet, ni
objet-tableau, ni même problème de la peinture mais une autre dimension.
L’intérieur de la Cathédrale de Chartres m’a fait la même surprise. Je ne sais
pas s’il s’agit encore de l’art, où si l’art possède une telle violence, de
cette violence qui déchire l’espace et me propulse dans une dimension autrement
inaccessible. Il m’arrive d’avoir le même sentiment après avoir lu un livre. Je
me rend compte parfois que je n’en ai gardé aucun
souvenir au niveau du contenu littéraire, mais le même phénomène s’est produit.
- Le texte
possède-t-il la même force que l’image?
W.B. - C’est comme
cela que j’ai essayer de concevoir le conceptualisme : un mot qui déchire
l’espace. Le conceptualisme était une tentation dramatique et risquée, et il
est resté très ambigu sur ce sujet. Je crois qu’un mot peut créer cette chance
pour l’ouverture de l’espace, quelque chose de plus qu’un jeu formel, quelque
chose d’ordre émotionnel, très fort et violent. Après la lecture de
"Ulysse" de Joyce, j’ai eu cette conviction. Il me très difficile de
raconter le jeu formel ou le contenu de l’"Ulysse" - on dirait des
mots déchiquetés - et pourtant j’ai eu le sentiment de traverser le miroir,
d’être dans une réalité imperceptible habituellement.
"Manifest
lustrzany" (Manifeste de miroir). 1e Démonstration syncrétique, BWA
Lublin, 1966*
- Quel est
le rôle du miroir dans ta réflexion sur l’espace?
W.B. - Le miroir,
sans déranger l’ordre de l’espace, joue avec celui-ci et le multiplie. En ce
sens, il crée une illusion concrète, ajoutant une partie de l’énigme toujours
fascinante qui lui est liée, et il devient un élément très riche à exploiter.
- Et la forme
dans l’espace?
W.B. - Tu sais
qu’en Pologne les rencontres et séminaires organisés à ce sujet étaient très à
la mode. J’ai moi-même réfléchi à cette problématique. Toute forme se défend
contre l’espace et inversement. C’est une lutte, une lutte qui mène la goutte
d’eau visible dans les tensions de sa surface, une lutte qui mène notre forme,
le corps humain : une blessure peut provoquer la mort et ce n’est rien d’autre
que l’entrée de l’espace dans le corps humain. Remarque quel contrôle exige
l’ouverture de notre corps même dans un acte médical, et quel conflit peut
résulter du fait de toucher à cette frontière des formes. Il y a à mon avis
trop de formes-sculptures qui introduites irresponsablement hantent cet espace.
Un tableau qui bouche l’ouverture potentielle - car il est "déjà-là",
mais n’agit pas dans le sens d’une ouverture - est déjà embarrassant. Mais une
forme-sculpture médiocre paraîtra encore plus lourde.
- Agir dans
le sens inverse serait créer un vide.
W.B. - C’est une
solution bien plus heureuse et bien plus difficile. Le vide est une situation
exceptionnelle, une sorte d’état de sous-tension, lequel peut aspirer…
- Créer un
vide veut dire créer de la place pour l’art.
W.B. - En quelque
sorte, oui. C’est une grave responsabilité d’introduire une forme dans
l’espace. Beaucoup de mes réalisations ont disparu à cause des matériaux
périssables utilisés pour leur construction, et j’en ai ressenti un
soulagement. A l’époque où j’enseignais le dessin, j’avertissais toujours mes
élèves de la responsabilité et du danger de faire un trait superflu. Chaque
élément de l’art vit, de sa vie indépendante et l’effacer est similaire à la
disparition de quelque chose de vivant. Une économie de gestes et de formes est
donc indispensable.
"Niciowiec
okienny" (Filaroïdé de fenêtre). De 7e Démonstration syncrétique, Osieki,
1967*
- J’en
déduit que tu considère les propositions du minimal art comme positives.
W.B. - Celles du
minimal art, mais aussi de la performance dans laquelle il n’y a plus d’objets
encombrants mais des gestes bien pesés, bien réfléchis, pouvant mener à l’art.
- Quel rôle
assignes tu au spectateur de tes performances?
W.B. - Le public
n’est pas un spectateur ni un participant dans la performance. Il constitue un
élément parfois nécessaire et parfois complètement étranger à l’action. Déjà
dans ma deuxième "Démonstration syncrétique" (28), par la lumière
aveuglante et à travers les inscriptions "silence", j’ai traité le
public de façon très autoritaire. Je voulais pousser jusqu’au bout les limites
du supportable, réduire le public à un objet, tout en profitant de mon statut
d’artiste. Ce n’était pas une provocation, ni une invitation à la
participation, mais plutôt une tentative de création de vide. Les éléments
artistiques et le contact avec l’artiste étaient eux aussi réduits. Le public
était ainsi privé de toute possibilité de voir, de comprendre, de participer,
contrairement à ce que demandait le happening. Cette action voulait plutôt
démontrer la lâcheté et l’inertie du public. Le public et la société délèguent
en effet un pouvoir aux artistes tout en acceptant de subir leurs
maltraitements et le champ réduit de participation désigné par ceux-ci. La
société considère le fait de posséder les artistes comme un luxe et elle aime
être maltraitée par eux, elle est prête à tout subir, elle va même jusqu’à y
trouver un plaisir masochiste. Le public du happening aime finalement être
surpris. L’artiste peut renverser de la peinture sur la tête du spectateur, et
celui-ci se sent privilégié, choisi, tout en ayant le sentiment d’être un peu
artiste en participant dans ce cadre qui lui est désigné. Très vite, les
spectateurs ont compris les règles du happening, et savent très bien y
participer.
-
L'appellation performance n’existant pas encore, tes actions étaient qualifiées
de "anti-happening". Quel était ton but, à part l’opposition évidente
au happening?
W.B. - Mes actions
allaient à l’encontre de cette sécurisante participation et mettait le
spectateur non en face de l’art mais en face de lui-même. Il pouvait voir le
ridicule de cette participation et ressentir finalement sa manipulation. C’est
cette prise de conscience qui donne à mon travail son importance. Le spectateur
réduit au silence, attaqué par la lumière aveuglante, empêché de voir de l’art
et d’y participer depuis sa position, en toute sécurité, était ainsi appelé à
réfléchir par lui-même sur son rôle. En ce sens ces performances étaient déjà
hostiles au public. J’ai poursuivi cette voie dans l’exposition "Antyhappening-Fubki
Tarb" (29) où je n’étais pas présent au vernissage. Le public était invité
à contempler ses propres images photographiques. En ce sens le public n’était
ni spectateur actif, ni spectateur passif mais faisait partie de l’installation
d’un ensemble constitué de lui-même et de ses photographies.
- Quels
sont pour toi les aspects les plus importants de la performance?
W.B. - Son
caractère expérimental, une sorte de laboratoire permanent où les expériences
sont plus ou moins réussies et où les résultats diffèrent, mais où l’aspect de
l’expérience est maintenu. C’est pour cela que cette forme d’art a toutes les
chances de durer. Elle permet de prendre conscience que l’objet-oeuvre n’est
pas le but en soi. Elle permet de raccourcir la distance, de lever le rideau et
d'accéder à un vécu.
"Uczulanie
na kolor"(Sensibilisation à la couleur). 8e
Démonstration syncrétique, Galerie odNOWA, Poznan, 1968*
"Pole gry" (Espace de jeu). Exposition (detail), Galeria Wspólczesna,
Warszawa, 1972*
- Parmi tes
propositions, on dénombre un type spécifique d’exposition, qualifié la plupart
du temps "d’installation". Quelle est la particularité de ce type
d’exposition, et en quoi consiste l’originalité de cette forme?
W.B. - Les
problèmes posés actuellement dans l’installation, à savoir : la prise en compte
du lieu d’exposition, de son aspect physique et visuel, méritent une attention
particulière, mais l’intérêt pour l’oeuvre in-situ en général ne date pas
d’aujourd’hui.
- En effet
la perspective dans la peinture murale de la Renaissance ou les effets
d’anamorphoses prenaient en considération non seulement les aspects de la
coupole ou abaque mais également la position et la taille des spectateurs. Ce
sont déjà des exemples d’oeuvres in-situ. Pourquoi alors attache-t-on aujourd’hui
autant d’attention à cette problématique?
W.B. - De nouveaux
contextes apparaissent et les mêmes problèmes se posent de manière différente.
Mais il est vrai aussi que l’avant-garde précédente préoccupée par la recherche
des spécificités de chaque discipline, a délaissé ces questionnements. Ils
reviennent maintenant et cela ne peut-être qu’un aspect positif.
- Que
penses-tu de l’idée de message et de communication en général, tellement ancrée
dans la pensée sur l’art en Pologne?
W.B. - Mon rôle en
tant qu’artiste, si j’admets que j’ai un rôle à jouer, serait plutôt de
maintenir en éveil ma capacité à voir le monde. Mes actions peuvent aider les
autres à en faire autant à condition qu’ils en manifestent le désir. La
réflexion sur la communication à travers l’art ne me préoccupe pas. Je suis
même hostile à ce que l’on nomme la popularisation de l’art. Aucune
communication programmée n’est envisageable. C’est à autrui de ressentir ce
besoin et de chercher les moyens de découvrir le monde qui l’intéresse. Tous
ces musées avec des cafétérias, des cartes postales et des espaces pour les
enfants ressemblent à des foires foraines où l’art paraît si accessible, si
facile à comprendre... Ils ne sont pas autre chose qu’un barrage efficace vers
l’art qui le prive de sa capacité d’agir... Je me souviens des remarques de
Stazewski concernant la visite d’un musée : il disait qu’il fallait essayer de
"passer inaperçu", car de toute façon l’oeuvre qui est censée toucher
notre sensibilité va nous arrêter. C’est cette rencontre qui devient
exceptionnelle.
5. Entretien avec Jozef
ROBAKOWSKI, Lodz, Varsovie, Novembre 1995, Mars 1996.
6. Conclusion.
NOTES :
* Source des illustrations : Kozlowski J., (dir.), Wlodzimierz
Borowski, Slady / Traces 1956 - 1995. Catalogue de l'exposition.
Warszawa : Centrum Sztuki Wspólczesnej Zamek Ujazdowski, 1996. -
Reproduction avec l'accord de l'artiste.
(26) Groupe artistique de Lublin, actif de 1956 à 1960,
crée à l'initiative de Jerzy LUDWINSKI, théoricien de l'art, dont BOROWSKI fut
l'un des co-créateur.
(27) Karol HILLER (1891, Lodz-1939, Lodz). Artiste peintre,
d'orientation constructiviste et abstraite.
(28) Il s'agit de la " Deuxième démonstration
syncrétique" à la Galerie Foksal de Varsovie en 1966 : "Il aménagea
tout d’abord une série de conditions externes caractéristiques de tous les
types de manifestations artistiques et d’expositions, tout en accentuant les
divisions conventionnelles entre le public et la scène. Il y avait un espace
déterminé pour le public en même temps qu’un espace de manifestation plastique
distinctement délimité, en fait, de nature purement visuelle. Il pouvait
sembler qu’il existait un point fixe d’observation pour le spectateur. Ceci
s’avérait cependant être un piège. Dans le premier espace, aucune observation,
quelqu’elle fût, n’était possible puisque le spectateur était systématiquement
aveuglé. Cela prouvait ensuite pendant l’action que son espace n’était pas du
tout un espace neutre. Le spectateur qui espérait au cours de la série rester à
l’extérieur et ainsi conserver à la fois son statut et ses prérogatives se
retrouvait soudainement et involontairement lui-même absorbé à l’intérieur. La
seule personne a ne pas être aveuglée était l’artiste
qui se trouvait derrière le projecteur, jouant du regard des spectateurs en les
blessant directement dans leur volonté de voir. Il y avait là, comme une
attitude de vengeance à l’égard du spectateur, d’agressivité, d’insolence ; il
semblait vouloir dire : "Vous êtes venu voir quelque chose?
Vous ne verrez rien ! Vous êtes venu, plein de suffisance, regarder, mais c’est
moi qui vous regarde." Anka PTASZKOWSKA " Avant-garde polonaise à la
Galerie Foksal, 1966-70", in Ragile, tome III, Sept. 1979, Paris.
(29) Action-événement réalisé à la Galerie Pod Mona Lisa à
Wroclaw en 1969.