art action anamnèse esthétique, histoire et théorie de l'art contemporain @ |
revelint
- revue électronique internationale - Paris
Józef BURY "Contexte dapparition des pratiques artistiques de type performance en Pologne - Entretiens avec Zbigniew Dlubak, Wlodzimierz Borowski, Jerzy Beres et Józef Robakowski",
Æsthética-Nova (n°6), Paris, 1996, pp. 40-70 (extraits).1.
Introduction à la problématique de la performance.Approche de la pratique de type performance en Pologne.
2.
Entretien avec Zbigniew DLUBAK, Meudon, Octobre 1995.3. Entretien avec Jerzy BERES, Cracovie, Décembre 1995.
4.
Entretien avec Wlodzimierz BOROWSKI, Brwinow, Novembre 1995, Janvier 1996.5.
Entretien avec Jozef ROBAKOWSKI, Lodz, Varsovie, Novembre 1995, Mars 1996.6.
Conclusion.
3. Entretien avec Jerzy BERES, Cracovie, Décembre 1995
Józef Bury
- Malgré la notoriété que vous avez acquise depuis les années 60 - vous êtes aujourdhui reconnu comme lun des artistes les plus originaux dans le paysage de lart polonais - reconnaissance récemment confirmée par deux grandes expositions de votre oeuvre aux Musées Nationaux de Poznan et de Cracovie, face à votre travail ainsi quà la lecture de vos textes, on ne peut échapper au sentiment dune volonté consciente de votre part de ne pas "être dans lart". Comment expliquez-vous cette fuite permanente?Jerzy Beres - Effectivement, dès le début, jai écrit que je menais un dialogue, ou une dispute avec le monde, et ce en dehors de lart. Cest un choix conscient. Cette référence au monde extérieur à lart est la condition principale pour une création authentique, car ce qui "consomme" lart sera toujours en danger de répétition et de perte.
-Comment arrive-t-on à faire ce choix conscient et quelle a pu être lorigine de cette conscience?
J.B. - Il ne faut pas oublier les expériences décisives des années 50. Aujourdhui, il mest très difficile dexpliquer comment nous avons pu les vivre. Pourtant cest par rapport à ce contexte quil faut situer, et que pourra être comprise, ma perte totale de confiance dans tout ce que à quoi lhumanité avait pu parvenir.
- Sagit-il dune perte de confiance en lart?
J.B. - Non, mais dune perte de confiance dans toute la civilisation, dans tous les résultats de la pensée humaine, et ce à lencontre de la "nécessité du temps"1 que prônaient alors tous les systèmes totalitaires de lépoque. Tout était en effet infiltré par lutopie. Je pense que nous en étions arrivé au crépuscule du développement de cette civilisation hantée par la création dutopies, utopies qui, si elles avaient pu être efficaces dans le passé, capables dengendrer des styles, modes de pensée..., au XX ième siècle débouchaient sur lhorreur. Je pense au fascisme et communisme... Au delà du crime, il y a une chose grave : la mentalité totalitaire peut mener au seuil dangereux de sa réalisation concrète. Cest comme cela que lon arrive à cette "ultime solution" proposée par Hitler ou Staline.
- En 1950-55, vous étiez étudiant aux Beaux-Arts, et, en tant que tel, en contact avec un milieu conscient de ces enjeux. Toutes les opinions nétaient pas aussi catastrophiques, et aujourdhui il savère que le système nétait pas éternel.
J.B. - Oui, maintenant lon peut voir cela comme un épisode. Mais à ce moment là, de lintérieur, lon croyait à un danger de durée, un vrai danger pour lhumanité. Ce nest pas hasard que lon parle aujourdhui de la "honte des artistes". Milosz2 révèle très bien dans "La pensée captive" cet asservissement de lesprit par le stalinisme ; même les intellectuels navaient pas de distance... Dailleurs dans lart, la tentative de réalisation de lutopie persiste toujours - il est très difficile en effet de vivre sans utopie...
-Pensez-vous aux grandes utopies de lavant-garde russe? et au débat sur le rôle social de lart dans les années 45-49 en Pologne?
J.B. -Toute utopie est une impasse pour la condition humaine. Par essence, lutopie tente duniformiser le monde selon une conception unique. Là est limpasse. Il faut au contraire admettre une possibilité de pensée pluraliste, il faut admettre un adversaire, quelquun qui puisse nous contester, là réside la richesse et la solution.
- Cette conviction vous a-t-elle accompagnée au cours de vos études?
J.B. - Au début cétait la révolte. La période de mes étude a coïncidé avec un endoctrinement idéologique très fort, et je ressentais - ce que plus tard en lisant Kierkegaard- je pourrais qualifier de " tremblement du sujet ". Cétait une forme dramatique de défense, et ce même au sens physique. Cest à ce moment que jai vu que seule la nature était libre. Elle était la seule terre ferme dans la réalité qui mentourait. Cela peut sembler ridicule, mais, le fait que le soleil brille, en dehors du territoire soumis au pouvoir de Staline permettait de penser les limites de ce pouvoir. Aucunes personnalités, pas même mon professeur, Xawery Dunikowski3 - un grand sculpteur - ne laissaient trahir une pensée autre à celle de la doctrine officielle... même si certains pouvaient penser autrement.
- La nature vous paraissait-elle une base de vérification immédiate de votre existence? outrepassant les résultats de la pensée humaine?
J.B. - Cétait le commencement, le point zéro, une sorte de résistance.
Pour donner un exemple concret : mes premiers "Zwidy" (Fantômes)4 renouent avec une simplicité de moyens et pourraient être placés dans la période où lhomme primitif construit ses premiers outils. La différence réside dans le fait que lhomme primitif pour produire loutil va soumettre le morceau de bois à une fonction et va tuer son essence. Dans mon travail au contraire, jessaie de laisser le matériau comme partie de la nature, et mon intervention - assemblage, perçage, coupure - est un strict minimum nécessaire. Ainsi en gardant la vie de la matière, je la délivre de lutilité propre à loutil.
- Derrière ce minimum nécessaire se cache un problème...
J.B. - Cest un problème de définition de loeuvre.
On ma toujours reproché cette simplicité, brutalité, mon manque de "Kunst" . Mais, ce faisant, cette partie de la nature je linclus dans mon oeuvre. Je nessaie pas de falsifier. Cela reste authentique : nous avons toujours affaire au morceau de bois. Mais la simple transposition dune branche trouvée a déjà, et toujours, quelque chose de mortuaire. Aussi, pour une transposition dans un autre contexte, une "réanimation" est nécessaire. Ce nest pas un cadavre de bois que j emmène dans une galerie : grâce à une construction -composition dans lespace- je le fais revivre. Cest cela, le minimum nécessaire.
- Je remarque dans votre travail deux types dintervention auxquelles vous soumettez les matériaux ; dun côté, des coupures, cassures faites en respectant la structure interne des matériaux, ainsi que des constructions dans lespace régies par la loi de gravitation ; dautre part, des perçages, encordages, assemblages, tensions (arc). Faites-vous aussi cette distinction?
J.B. - Effectivement, la matière impose ses propres lois de division, de partage, de coupure -parfois un bois attend des dizaine dannées dans mon atelier avant quil ne révèle ses lois, avant que je ne comprenne quil doit être coupé dune façon et non dune autre ( je ne voudrais pas le détruire, jattends, il ne faut pas se précipiter, il ne faut pas le tuer). Ensuite pour lassembler, pour le soulever, je perce un trou. Cela ne sera jamais une action pure car, si l on agit dans le concret la pureté est exclue - elle relève de lutopie. Mon attitude doit être comprise comme une forme de dialogue avec le monde et la réalité qui mentoure, dont la nature est lune des composantes.
- Lart est donc un dialogue?
J.B. - Au sens où je le pratique, oui.
- Dans quelles conditions ce dialogue peut-il advenir ?
J.B. - Il y a dabord un constat, tout un travail, parfois très long, une sorte de reconnaissance de létat des choses. Ainsi, même dans les oeuvres anciennes, on peut retrouver le Sujet si lon parvient à percer le style. Car, il faut en effet deux Sujets pour dialoguer.
- Pouvez-vous préciser cette notion de Sujet?
J.B. - Prenons lexemple de la science. Le moment de dialogue universel (au sens de a-temporel) ne peut pas apparaître puisque chaque découverte scientifique vient vérifier les précédentes et les remplace. Dans lart cette vérification est inopérante, chaque oeuvre est unique et persiste dans le temps, toujours vivante : elle nest pas "historiquement morte", elle agit toujours de façon imprévisible. Elle contient une qualité de Sujet.
- La nature peut-elle également avoir ce statut de Sujet?
J.B. - La situation nest pas exactement la même. Mais limprévisibilité, le hasard, la vie même lui procure ce statut.
- Et le spectateur de vos actions?
J.B. - Dans le cas du théâtre au sens traditionnel -le public restant dans lombre et le silence absolu- le spectacle se voit assigner le rôle de lobjet. Et, ce faisant, le public lui aussi rejoint ce statut. Cest là une affaire de conventions volontaires. Dans le happening, ce sont souvent l' agressivité et le hasard qui rendent actif le spectateur. Dans la performance, les règles sont définies par le protagoniste de laction qui assigne au public le rôle de lobjet. Dans tous les cas, on peut difficilement parler de présence de Sujets des deux côtés. Il sagira alors de créer les conditions dun échange vivant. Parfois, jessaie, tout simplement, de parler avec le spectateur , de manger avec lui, de boire de la vodka avec lui5. Cétait le cas dans "Oltarz Kontaktu"6 (Autel de contact).
- Le problème du dialogue se situe à plusieurs niveaux dans votre travail : dans les actions, cest le spectateur, la réalité socio-politique, ou une oeuvre du passé qui sont visés ; dans vos sculptures cest la nature que vous évoquez le plus souvent.
Y-a-t-il une surface commune à tous ces dialogues?
J.B. - Cest lidée même de dialogue, et le court circuit quelle génère.
- Lidée de dialogue implique celle de langage, au moins dans le cas de dialogue avec Autrui. Je pense au spectateur de vos actions.
J.B. - Oui, mais ce langage doit être compris dans le sens dun ensemble de signes verbaux, visuels et autres, dans une attitude orientée vers une communication.
- Lidée de communication, de message, est très forte dans votre travail. On ressent ce besoin de communiquer. Mais quelle est la garantie que le "court circuit" va se produire, quil ne sagira pas dun récit de plus? Autrement dit, quels sont les éléments nécessaires de ce langage?
J.B. - A part la polarité des Sujets, les éléments de dialogue doivent posséder un caractère universel.
-Pouvez-vous citer des exemples?
J.B. - Les signes, les gestes, les actions simples, tels le feu, le bois, la combustion, laction de casser, hacher, la résistance de la matière, la gravitation terrestre... Parfois ce sont des poignées, des manivelles ou une corde qui pend qui incitent à actionner,
à animer la sculpture.
- Mais vous utilisez aussi des signes beaucoup plus complexes, je pense à la nudité, à lautel...
J.B. - Ils sont aussi universels et compréhensibles, mais complexifiés par leur champ culturel respectif. Un exemple : jai eu beaucoup de problèmes avec lEglise qui maccusait de profanation, dusage "abusif" de lautel qui est le titre de mes travaux. Mais lautel précède peut-être la religion, et l Eglise ne fait que se l approprier. Lautel donne une signification spécifique à ma "manifestation". Dun côté lautel la place à un niveau daccomplissement supérieur, dautre part, il fait référence à une nécessité de sacrifice, nécessité inhérente à la problématique abordée.
J. Beres, Transfiguracja II, 1973, galerie Desa, Kraków. Photo : J. Szmuc (*)
- L accumulation de mots provenant du vocabulaire religieux est très visible dans votre travail, dans vos titres, mais aussi parmi les éléments composant vos oeuvres. Je pense bien sûr à lautel, mais aussi, la prière, le miracle, la messe... Dautres mots, dordre spirituels ou magiques apparaissent également, tels, fantôme, oracle, rituel...
J.B. - Ces mots fonctionnent le plus souvent comme des titres, et, généralement, ce vocabulaire est plus proche de ce que je ressens que le vocable traditionnel de lart. Jai utilisé au début des titres comme "transfiguration", mais très vite jai vu que le mot "transsubstantiation" (eucharistie) était plus juste.
- Ou bien lart est selon vous une pratique spirituelle, ou bien ce que vous faites est plus proche de la religion que de lart...?
J.B. - Si cela vous parait dordre spirituel, cest édifiant
- Avez-vous étudiez le domaine religieux, ésotérique ?
Avez-vous étudier également larchéologie slave? Je retrouve en effet dans votre travail des allusions à des rites ancestraux?
J.B. - Il était très facile de maccuser de perpétuer les rites des Piastes7, alors, quau moment où mon travail commence à être connu (les années soixante) la Pologne fêtait le millénaire de lEtat polonais. Tout ce qui alors faisait référence aux Piastes était très à la mode. Ce fut évidement un déplorable malentendu. Quand aux études des différentes disciplines citées, je ne my suis pas expressément attaché. Je ne trouvais pas cela nécessaire. Il ne sagit donc ni du résultat dune fascination ou détudes. Mais, tout simplement, ma pratique se situe à lintérieur, ou au plus proche du champ spirituel.
- Votre pratique vise-t-elle à une connaissance des choses?
J.B. - Ce nest pas le but de la création ; autrement dit, la création nest pas une science. Cest une conscience des formes. Cest toujours pour moi un moment énigmatique, mystérieux, ce moment de confrontation de limaginé avec le matériau. Tout ce passe comme si le matériau attendait sa forme. Concrètement, le morceau de bois par exemple, qui à un moment imprévisible, parfois après une longue série déchecs, se constitue comme sil attendait sa forme. Après, ce sont toujours les mêmes morceaux de bois mais différents. Ils vivent et agissent, et cela est toujours à la limite du miracle. Ce moment exerce sur moi une grande attraction, cest une énigme que je nessaie pas de comprendre. Cette conscience des formes est une réussite du vingtième siècle. Lavant-garde a thématisé la forme et cela a souvent conduit à un formalisme. Mais cela a permis une prise de conscience de la forme qui auparavant était recherchée dans la nature. Van Gogh par exemple, au lieu dimiter la nature a peint sa relation avec elle. Il ne sagit plus de la vérité de la connaissance mais de sa forme consciente. Peindre un émerveillement , voilà la conscience de la forme.
- Il semblerait que dans votre travail, le contenu prime sur la forme.
J.B. - Sur le carton dinvitation pour lexposition en 1986, jai posé cette question: "Un contenu sans forme pourrait-il être beau ?". Jentends par beau, forme pure. Jai toujours considéré que la forme est justifiée comme véhicule du contenu du message.
- Employez-vous le terme de "forme pure" au sens de Witkacy ?
J.B. - Oui, et dans le "Dialogue avec Witkacy" jai opposé le contenu pur aux formes pures de Witkacy. Il sagissait de démontrer la fonction de forme comme celle dun emballage...8 La recherche de formes pures chez Witkacy sest soldée par un échec. Mais je pense quil savait que la forme pure ne peut pas se concrétiser puisquil sagit tout simplement de la conscience pure. Witkacy, dans son honnêteté, nous a averti des catastrophes à venir. Cest dailleurs en le pressentant quil sest suicidé. Et, effectivement, vu ce qui sest passé après il aisé dimaginer quil naurait su sen accommoder.
- Vous avez fait aussi un "Dialogue avec Duchamp"9?
J.B. - Duchamp était beaucoup plus sarcastique et ironique, contrairement à Witkacy, il na pas emmi didées, mais a fait génialement apparaître les mécanismes régissant les sociétés du vingtième siècle.
- Et, plus précisément ?
J.B. - Par exemple, le fétichisme omniprésent.
- Quel est votre opinion des autres artistes de lavant-garde polonaise? Je pense, par exemple à Strzeminski, et sa conception de lunisme.
J.B. - Cest un très bon exemple de tentative de réalisation de lutopie, heureusement limitée à la peinture. Cest inadmissible, comme toute tentative de ce genre. Je pense par exemple à Reinhardt proposant de réaliser le "dernier tableau"... Ensuite on en arrive effectivement à Kosuth, pour qui lexistence de loeuvre na pas de nécessité. Ce que jappellerais le degré zéro de lart : lart existe parce quon le dit, et ce dire cest lart. Le courant conceptuel était très fort en Pologne. Cette réflexion maccompagna dans mon travail mais ma conclusion fut : il ny a pas dart sans oeuvre. Cest pour cela que "jappelle" les objets.
- Vous faites également des actions que vous nommez "manifestations", qui ne consistent pas à produire un objet. Où est loeuvre dans laction éphémère ?
J.B. - "Manifestation" est handicapée par rapport aux sculptures. Cette oeuvre napparaît pleinement quà travers son accomplissement dans le temps. Les objets, les mots, ont chacun une fonction déterminée (parfois brûlés, ou effacés au cours de laction). La photographie, comme document, est impuissante puisque laction agit dans son ensemble : taille, échelle, phénomènes tactiles et sonores, etc... Mais cet handicap est comblé par le contact vivant avec les participants. Cest une communication immédiate dans un lieu donné.
- Et quel le rôle de votre corps?
J.B. - Cest pour moi chaque fois un moment troublant. Mon corps nest pas mon oeuvre. Il est temporaire mais peut produire des traces. Ce sont elles qui restent de laction éphémère. Pour ce qui est de la documentation, on peut seulement ajouter que cest là loeuvre de quelquun dautre. Pour "Przepowiednia I" (Oracle I)10 en 1968 à la Galerie Foksal11, jai utilisé des plaques de bois sculptées en négatif de mon corps pour cacher mon bassin, plaques qui ensuite peuvent désigner cette présence physique.
- Dans la plupart de vos manifestations le désir de contact vivant est très visible. Il est même le but de vos actions . Quels sont pour vous les signes quune action est réussie? Quelle ne reste pas symbolique?
J.B. - Cest une chose que je ressens, et il mest difficile de me tromper. Cela se vérifie immédiatement. Une autre vérification, et cela concerne plutôt la sculpture est inscrite dans le temps. Il est en effet important pour loeuvre dart quelle puisse traverser les frontières du contexte historique. Mais il est vrai, également que le risque est grand. Chaque création authentique compose avec ce risque.
- On associe souvent votre démarche à un engagement moral dans le contexte socio-politique. Certaines de vos oeuvres , telle " Klaskacz" ( applaudisseur ), "Msza Polityczna" (la messe politique), "Taczki Wolnosci" (brouette de liberté), le sont ouvertement. Ce programme moral fait-il partie de votre travail?
J.B. - Je nessaie pas de moraliser. Il sagit plutôt de mettre laccent sur ce que jappellerais léthique de la création, nécessaire pour garder la force intérieure, pour ne pas douter de soi-même. Chaque fois que lon essaie déviter, de ne pas voir le problème en face, cest la création qui en souffre. Lartiste doit conserver une attitude intraitable, qui lamènera inévitablement à prendre position dans le contexte social, bien que cela ne soit pas sa tâche essentielle.
- Les notions comme "sacrifice", "message", "accomplissement", donnent un caractère spécifique à votre démarche. Pour vous, être artiste, cest une vocation?
J.B. - Il est certain quêtre artiste nest ni un métier ni un statut. Lidée dun geste gratuit, dun effort de sacrifice, aujourd'hui négligée, est à mon avis primordiale. Pour que le dialogue universel puisse se poursuivre, le message doit traverser le temps. Tous, nous pouvons, un jour, être appelé à délivrer ce message. Mais une certaine attention, sensibilité, sont nécessaire pour que cela soit authentique.
4.
Entretien avec Wlodzimierz BOROWSKI, Brwinow, Novembre 1995, Janvier 1996.5.
Entretien avec Jozef ROBAKOWSKI, Lodz, Varsovie, Novembre 1995, Mars 1996.6.
Conclusion.Notes :
(*) Source de l'iconographie : Wecka, A. (dir.), Zwidy, wyrocznie, oltarze, wyzwania. Catalogue de l'exposition. Poznan : Muzeum Narodowe w Poznaniu, 1995. - Reproduction avec l'accord de l'artiste.
1
"nécessité du temps" : sacrifice personnel face à la réalité du monde, prôné par le régime communiste.2
Czeslaw MILOSZ (1911 Sztejnie,). Poète et romancier polonais, prix Nobel de littérature en 1980.3
Xawery DUNIKOWSKI (1875-1964). Artiste, sculpteur polonais, professeur aux Beaux-Arts de Cracovie.4
Zwid (fantôme), nom que l'artiste donne à ses réalisations de 1960-66.5
Il est intéressant de voir l'une des réactions suscitées par ce type d'action dans un autre champ culturel cf."Lanimal signé, entre nu, tremblant, et imprègne dhumanité lexistence de toute une vie.Au centre, se dresse une petite table sur laquelle trône une bouteille de vodka polonaise entourée de petits verres. Un peu en retrait, se tient une grosse bûche de bois denviron deux pieds où il inscrit "monument vivant". Plus de technique, une bûche de bois, de lalcool de patate, et comme dispositif, on le pressent, attendant au partage festif. Lhomme frèle a soixante-cinq ans. Il réalise sa première action artistique en Amérique. Il entre nu, nerveux, une grosse corde nouée autour du cou et le pénis peint en blanc et rouge. La tension fait place à lattention, lattraction. Cet animal signé - pour reprendre la belle expression dHenri Van Lier (Lanimal signé, Casterman, 1980.) - parle. Il nous parle de la vie, de cette rencontre , de léchange, dabord de ses réflexions sur ce que sont lart et la performance ; il nous parle simplement de lui et de sa vie dans la culture. Avant de servir à boire et tout en remplissant les verres, il peint sur sa poitrine, lettre après lettre, le mot Paradox en vert. Dans son dos, il exécute des graffitis noirs. Signaux ou langages? Scénario corporel ou langage? Costume ou simple appareil? Quincaillerie technologique ou gestualité naturaliste? Les débats intellectualisant lart redeviennent ici un vécu, chaque noeud que fait lhomme dans la grosse corde marquant le temps. Nu et chaleureux, lHomme se signe lui-même, même si la reproduction passe par lidentité hors de nous, dans la colllectivité ou dans sa progéniture ; cest le sens de son pénis peint en blanc et rouge. Haletant, lhomme signé grimpe sur la bûche, piedestal du "monument vivant". Tenant la boule de noeud au-dessus de sa tête, il profère: "je suis maintenant en état de performance, cest-à-dire nayant aucune possibilité de me défiler.". Pas dartifices, dajout, deffet spécial, encore moins de distance médiatique... Il nous sert finalement la vodka après avoir laissé lempreinte de ses pieds sur la bûche-terre-culture." in: Guy SIOUI DURAND, "Des signaux technologiques à lanimal signé", in Inter Art Actuel, n°62 (Eté 1995) Montréal, p.73
6
A partir de 1972, l'artiste donne le nom d'autel à plusieurs de ses réalisations et actions, par exemple: "L'autel d'espoir", 1973, "L'autel d'humilité", 1979,... l"Autel de contact" ici cité, fait partie dune "Manifestation" Msza romantyczna" (La messe artistique), 1977, Cracovie, Club Pod Jaszczurami.7
PIASTES: nom de la dynastie des princes et rois de Pologne qui fondèrent et gouvernèrent l'Etat polonais entre les années 900 et 1400.8
Description de l'action: Trois tables, couvertes de nappes blanches touchant le sol sur le devant de la scène; sur les parties pendantes trois inscriptions ; table 1: FIRMA ; table 2: DIALOG Z IGNACYM WITKIEWICZEM (dialogue avec Witkacy) ; table 3: FORMA. La table 1 est vide, sur la table 2 une bouteille de vodka et des petits verres, sur la table 3 un pavé de granit. Action : lauteur , vêtu dun pagne blanc portant linscription "TRESC" (le contenu) , apparaît et pose sa signature sur la table 1 avec la peinture verte. Il rejoint la table 2 et remplit les verres de vodka. Après chaque verre, il trace un segment courbe sur son thorax, puis il ôte son pagne, le plie et le dépose près des verres remplis, de façon à rendre visible linscription "TRESC" . Nu, il continue à verser la vodka et à tracer sur son corps la ligne qui prend une forme de point dinterrogation. Une fois la bouteille vide, il peint un point sur son phallus puis couvre les verres avec son pagne . La bouteille à la main il rejoint la table 3 où il la casse avec le pavé. Il quitte la salle. Note rédigée daprès une description contenue in Jerzy Beres, Zwidy, Wyrocznie, Oltarze, Wyzwania. Catalogue dexposition. ( Jerzy Beres, Fantômes, Prédictions, Autels, Défis ), (Poznan, Muzeum Narodowe, 1995) p.127 "Manifestation" réalisée à la Galerie ZPAP Pryzmat, Cracovie, Avril 1980.9
"Manifestation" réalisée à la Galerie BWA, Lublin, Novembre 1981.10
Il s'agit de la première "Manifestation" de l'artiste réalisée à la Galerie Foksal à Varsovie, en Janvier 1968.11
Galerie avant-gardiste, fondée par un groupe d'artistes (Anka PTASZKOWSKA, Wieslaw BOROWSKI, Mariusz TCHOREK) en 1968 à Varsovie. KANTOR, BERES et Wlodzimierz BOROWSKI seront les premiers à y réaliser des actions. Le dossier complet relatant les activités et programmes de la Galerie a été présenté en langue française par Anka PTASZKOWSKA dans la revue Ragile, n°3, Paris, 1979. pp. 50-71.